EDITO

Redonner souffle au service public : l’humain comme boussole
Protéger un agent, c’est protéger le service public.
La protection fonctionnelle n’est pas un privilège mais un droit fondamental, garanti par l’article L.134-1 du Code général de la fonction publique. Lorsqu’un agent est pris à partie dans l’exercice de ses fonctions — insultes, menaces, diffamation, violences ou mise en cause judiciaire — la collectivité a le devoir de le défendre. Et les représentants du personnel ont celui de veiller à ce que ce droit soit appliqué sans restriction.
L’administration doit assurer la protection de l’agent pour tout fait lié à ses missions, au moment où il survient. Cela concerne les atteintes à l’intégrité physique ou morale, les outrages, injures, diffamations ou menaces, ainsi que les poursuites judiciaires liées à un acte de service. Depuis 2024, cette protection s’étend même aux auditions libres, avant toute mise en examen, ce qui constitue une avancée importante. Dès qu’un agent est visé pour avoir accompli son travail, il doit être soutenu, pas abandonné.
La protection fonctionnelle implique une double obligation financière pour la collectivité : réparer les préjudices subis par l’agent — préjudice moral, frais médicaux, atteinte à la réputation — et prendre en charge les frais de défense, y compris les honoraires d’avocat, pour toutes les procédures liées aux faits. Le Conseil d’État, en février 2025, l’a rappelé : même si l’agent engage une action contre sa propre administration, dès lors qu’il s’agit de faits ouvrant droit à la protection fonctionnelle, la collectivité doit financer sa défense. Le SNT salue cette jurisprudence qui affirme que le droit à être défendu dépend non pas de l’adversaire, mais de la raison pour laquelle on se défend.
Le cadre juridique est clair, mais souvent mal appliqué. Les articles R.134-1 à R.134-7 du Code général de la fonction publique précisent que la décision de protection doit être écrite et motivée, indiquer les faits, la durée et les conditions de la protection. Une convention d’honoraires peut être conclue entre la collectivité, l’agent et l’avocat. En l’absence de convention, la collectivité rembourse les frais sur facture et ne peut réduire les honoraires que s’ils sont manifestement excessifs. Pourtant, trop de collectivités restreignent illégalement ce droit en excluant certaines procédures, en imposant un avocat ou en fixant des plafonds arbitraires. Ces pratiques sont contraires à la loi et le SNT appelle les agents à ne jamais les accepter sans vérification syndicale.
Le SNT conseille de toujours formuler une demande écrite, datée et accompagnée de preuves ou témoignages, d’exiger une réponse écrite et motivée — car un refus non justifié peut être contesté devant le juge administratif —, de ne pas se laisser imposer un avocat, et de solliciter systématiquement l’accompagnement syndical. Le SNT suit ces dossiers, alerte les collectivités, soutient les démarches et aide à contester les refus.
Chaque agent a le droit d’être protégé lorsqu’il est attaqué à cause de son travail, la collectivité a le devoir d’assurer sa défense et de réparer le préjudice. L’agent choisit librement son avocat, la collectivité doit en payer les honoraires raisonnables et justifiés. L’administration doit remettre une décision écrite et motivée, dans le respect du cadre légal.
Pour le SNT, c’est une évidence : aucun agent ne doit craindre d’être seul face à la violence, à la diffamation ou aux poursuites. Lorsqu’une collectivité refuse la protection fonctionnelle, elle trahit le principe même du service public. Le SNT demeure mobilisé pour défendre chaque agent menacé ou mis en cause, faire respecter la loi et rappeler que la protection fonctionnelle n’est pas une option, mais une obligation.
VEILLE REGLEMENTAIRE
Assumer ses décisions : un principe au cœur de l’action publique
Une récente décision du Conseil d’État, rendue le 17 octobre 2025 (n° 493859), rappelle un principe fondamental du droit administratif : une administration ne peut pas demander au juge d’annuler un acte qu’elle a elle-même le pouvoir de retirer.
L’affaire concernait une collectivité territoriale qui avait signé avec un agent une rupture conventionnelle mettant fin à ses fonctions. Le document prévoyait le versement d’une indemnité et contenait une clause de renonciation à tout recours. Quelques semaines plus tard, estimant que la procédure n’avait pas été régulière, la collectivité a voulu saisir le tribunal administratif pour faire annuler cette rupture.
Le Conseil d’État a rejeté cette demande. Il a rappelé que, lorsque l’administration estime qu’un acte qu’elle a pris est illégal, elle doit le retirer elle-même dans les conditions prévues par la loi : elle ne peut pas se tourner vers le juge pour obtenir l’annulation d’une mesure dont elle est l’auteur. En d’autres termes, le juge administratif n’a pas vocation à réparer les erreurs que l’administration a le pouvoir de corriger.
Cette décision peut sembler technique, mais elle a des effets très concrets. D’un côté, elle oblige les employeurs publics à une plus grande rigueur juridique avant de signer un acte mettant fin aux fonctions d’un agent. Ils doivent s’assurer de sa légalité, car une fois l’acte signé, ils ne pourront plus en contester la validité par la voie contentieuse. De l’autre, elle renforce la sécurité des agents publics, notamment dans le cadre des ruptures conventionnelles : une administration ne peut plus revenir en arrière et faire annuler devant le juge une décision qu’elle a librement prise.
Concrètement, si une collectivité veut retirer un acte qu’elle juge illégal, elle doit le faire dans un délai de quatre mois à compter de sa signature, conformément à la jurisprudence Ternon du Conseil d’État (2001). Passé ce délai, la décision devient définitive, sauf en cas de fraude manifeste.
En réaffirmant ce principe, le Conseil d’État souligne l’autonomie et la responsabilité de la puissance publique : elle doit assumer ses décisions et ne pas se placer artificiellement dans la position d’un requérant contre elle-même. Pour les agents, c’est un gage de stabilité ; pour les services RH, un appel à la prudence et à la vérification juridique avant toute signature.
Les artisans silencieux du service public territorial
Dans les centres de gestion, il y a d’abord des femmes et des hommes. Des visages souvent méconnus du grand public, mais dont le travail patient et exigeant constitue la charpente invisible de la fonction publique territoriale. Agents de carrière, contractuels, techniciens, juristes, conseillers en prévention ou responsables concours : ils incarnent une mosaïque de métiers qui, ensemble, donnent vie à la gestion quotidienne de centaines de milliers d’agents territoriaux.
Ce sont eux qui rédigent les arrêtés, accompagnent les reclassements, suivent les carrières, gèrent les concours, conseillent les collectivités en droit et en ressources humaines. Ils travaillent dans la discrétion, à la frontière entre technicité et engagement public. Leur mission n’est pas seulement d’appliquer des textes : elle consiste à faire vivre, dans chaque dossier, l’idée même d’un service public équitable, rigoureux et humain.
Leur métier demande une double fidélité : au droit et à la réalité du terrain. Les agents des CDG doivent conjuguer rigueur administrative et compréhension des contextes locaux. Ils traduisent la norme nationale en solutions concrètes, adaptées aux communes, aux intercommunalités, aux établissements publics. Ce sont des médiateurs entre l’administration centrale et les territoires, entre la règle et la vie.
Ces professionnels, souvent issus eux-mêmes de la fonction publique territoriale, ont vu leur environnement se transformer : complexification des statuts, montée des exigences réglementaires, multiplication des outils numériques, pressions budgétaires. Pourtant, ils continuent d’assurer une continuité de service exemplaire. Derrière la réforme permanente, ils incarnent la stabilité, la mémoire et le sens collectif.
Dans de nombreux centres de gestion, les équipes sont très féminisées : des collaboratrices expérimentées, formées aux arcanes du droit public, tiennent le fil de la relation humaine dans les moments les plus sensibles — accident de service, reclassement, discipline, mobilité forcée. Elles incarnent la dimension sociale du service public local : écoute, patience, loyauté, mais aussi combativité. Les hommes, de leur côté, occupent de plus en plus de fonctions transversales : conseil stratégique, numérique, prévention, dialogue social. Ensemble, ils composent un collectif professionnel où la complémentarité des compétences prime sur toute hiérarchie formelle.
Travailler dans un CDG, c’est exercer un métier d’équilibre. Entre la neutralité de la règle et la singularité de chaque situation ; entre le devoir de conseil et la distance institutionnelle ; entre la technicité et l’humain. Ce sont des fonctions où l’expertise s’allie à la discrétion, où la confiance des élus et des agents se gagne au quotidien, sans bruit.
Les transformations en cours — mutualisation, dématérialisation, évolution du statut des CDG — interrogent directement ces femmes et ces hommes. Derrière chaque réforme, il y a des professionnels qui tiennent le système à bout de bras : ceux qui assurent la continuité, forment les collectivités, et préservent la cohérence d’un modèle unique au monde. Leur avenir, c’est aussi celui du service public territorial : un service fondé sur la compétence, la proximité et l’éthique.
Il est donc temps de reconnaître pleinement leur rôle. Les agents des CDG ne sont pas de simples relais techniques ; ils sont les gardiens silencieux de l’égalité de traitement entre les agents publics, les artisans d’une administration loyale et stable. Dans un monde où le service public cherche un nouveau souffle, leur engagement constitue un repère. Ces femmes et ces hommes sont, tout simplement, le cœur battant des centres de gestion.








