Tensions entre vie privée et vie professionnelle : les agents territoriaux en première ligne

Les données de l’INED confirment un phénomène massif. Les agents de la Fonction publique territoriale (FPT) y sont particulièrement exposés, du fait de la nature même de leurs missions et des conditions de travail propres au service public local.

Un constat national sans appel

Selon la nouvelle enquête Familles et Employeurs (FamEmp 2024), menée par l’Institut national d’études démographiques (INED), plus de huit actifs sur dix déclarent que leur travail interfère avec leur vie personnelle.

• 85 % des femmes et 78 % des hommes affirment que la fatigue professionnelle pèse sur leur vie privée.

• Près d’un tiers dit que les responsabilités familiales affectent leur concentration au travail.

• Et un quart se sent « souvent » ou « toujours » débordé entre les deux sphères.
  (Source : INED, Population & Sociétés, n° 621, septembre 2025)

Ces tensions ne sont pas anodines : elles triplent le risque de déclarer un mauvais état de santé et augmentent la probabilité d’un mal-être au travail. Pourtant, elles n’entraînent pas forcément un renoncement à la parentalité : la majorité des personnes concernées gardent leurs projets de vie, mais expriment un fort souhait de mobilité professionnelle. Autrement dit : quand la vie pro déborde sur la vie perso, on ne renonce pas à ses enfants… mais on songe sérieusement à changer d’emploi.

Dans la FPT, un terrain particulièrement vulnérable

L’enquête FamEmp ne distingue pas encore les sous-secteurs publics, mais ses résultats éclairent directement les réalités vécues dans la fonction publique territoriale, où les contraintes organisationnelles sont fortes :

1. Des horaires atypiques et des amplitudes variables
   Les agents territoriaux — notamment dans les services techniques, de restauration, d’entretien, de voirie, de sécurité ou d’aide à la personne — connaissent des horaires décalés, fractionnés, parfois étendus au week-end ou aux astreintes.
   ➜ Ces horaires figurent parmi les premiers facteurs de tension identifiés par l’INED.

2. Une forte exposition aux exigences de service public
   La continuité du service impose une présence sur site et une faible marge d’autonomie dans l’organisation du travail.
   ➜ Or l’autonomie, selon l’étude, est le levier principal d’une bonne articulation entre les temps de vie.

3. Des effectifs contraints et des charges accrues
   Les réorganisations, suppressions de postes ou remplacements différés accentuent la charge de travail et donc la fatigue, première cause de débordement vers la vie privée.

4. Des profils familiaux exposés
   La FPT compte une proportion importante de femmes entre 35 et 55 ans, souvent mères d’enfants mineurs ou aidantes d’un parent âgé : deux situations que l’enquête FamEmp identifie comme les plus à risque de tensions fortes.

Vie pro / vie perso : un enjeu syndical majeur

Pour le Syndicat National des Territoriaux, ces constats confirment une réalité déjà connue du terrain : l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée n’est plus un « plus », c’est une condition du bien-être et de la santé au travail.

Les données de l’INED montrent que les difficultés d’articulation ne relèvent pas d’un « problème individuel », mais d’un effet structurel du travail : horaires, manque d’autonomie, organisation rigide, surcharge. Autant de leviers sur lesquels les employeurs publics peuvent agir.

« Quand les conditions de travail ne permettent pas de souffler, ce n’est pas la famille qui devient un obstacle au travail, c’est le travail qui devient invivable. »
— Déclaration du Bureau national du SNT, octobre 2025

Ce que propose le SNT

Le SNT appelle les collectivités à inscrire l’articulation des temps de vie dans leurs plans de qualité de vie au travail (QVT) et dans leurs politiques RH :

1. Aménager le temps de travail

   • Développer la souplesse horaire et le télétravail partiel, quand les missions le permettent.

   • Expérimenter des semaines à horaires variables pour les agents de terrain.

   • Anticiper les pics d’activité afin d’éviter les heures supplémentaires non maîtrisées.

2. Reconnaître et accompagner les situations familiales sensibles

   • Création de dispositifs de soutien aux agents aidants ;

   • Priorité d’aménagement pour les parents d’enfants en bas âge ;

   • Accès facilité aux congés de solidarité familiale.

3. Prévenir les effets sur la santé

   • Intégrer le repérage du surmenage et de la fatigue chronique dans les visites de médecine préventive.

   • Former les encadrants à la gestion des temps et à la prévention de l’épuisement professionnel.

4. Mettre les chiffres au cœur du dialogue social

   • Réaliser dans chaque collectivité un diagnostic local des tensions vie pro / vie perso, en s’appuyant sur les indicateurs FamEmp.

   • Impliquer les CST et F3SCT pour suivre les effets concrets des mesures.

Vers une nouvelle culture du travail public

L’enjeu n’est pas seulement d’offrir plus de confort : c’est de garantir la pérennité du service public.
Un agent fatigué, contraint ou déséquilibré est un agent fragilisé ; un agent qui dispose de marges de respiration, au contraire, est un professionnel investi, disponible et efficace.

Pour le SNT, l’équilibre entre vies professionnelle et personnelle fait partie intégrante de la responsabilité des employeurs publics.
Il est temps que la FPT passe d’une culture du sacrifice à une culture de la prévention et du respect des temps de vie.

Sources vérifiées

• INED, Population & Sociétés, n° 621, « Tensions entre vie privée et vie professionnelle : qui sont les plus exposés ? », septembre 2025. Enquête Familles et Employeurs (FamEmp 2024) – volet individus et employeurs. Documentation officielle : https://famemp.site.ined.fr et https://lifeobs.site.ined.fr.