JURISPRUDENCE
Abandon de poste : revendiquer tardivement le statut de gréviste ne protège pas de la radiation
Tribunal administratif de Lille, 17 septembre 2025 – Article ID.CiTé du 23 octobre 2025
⚖️ Quand le silence vaut rupture du lien avec le service
Un agent public a été radié des cadres pour abandon de poste, après plusieurs semaines d’absence non justifiée.
Il soutenait qu’il était couvert par un préavis de grève sur la période, et qu’il bénéficiait donc du statut de gréviste.
Le tribunal administratif de Lille a rejeté cette argumentation, rappelant que la grève ne se déclare pas après coup.
🧩 Une mise en demeure régulière suffit
Les juges rappellent un principe bien établi :
La radiation pour abandon de poste n’est pas une sanction disciplinaire, mais une mesure administrative liée à la rupture du lien entre l’agent et le service.
Elle peut donc être prononcée sans procédure contradictoire, à condition qu’une mise en demeure régulière ait été adressée à l’agent.
Dans cette affaire, l’administration avait envoyé une lettre le 5 avril 2023, lui demandant de reprendre son poste sous trois jours.
Le délai a été jugé suffisant, même si l’agent n’a pas retiré le courrier recommandé.
Aucune justification médicale ni syndicale n’a été apportée dans les temps.
🚫 Grève : l’information préalable reste indispensable
L’agent invoquait ensuite un préavis de grève couvrant la période du 1er janvier au 30 juin 2023.
Mais le tribunal rappelle une règle claire :
Un agent doit informer son administration de sa participation au mouvement de grève pour en bénéficier.
Sans cette information explicite, l’administration ne peut pas présumer de l’intention de faire grève.
Une revendication tardive du statut de gréviste ne permet donc ni d’annuler la radiation, ni de régulariser une absence non motivée.
🧠 Une alerte à retenir pour tous les agents
Cette décision rappelle l’importance de la transparence dans les relations de travail :
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Informer formellement sa hiérarchie de toute participation à une grève ;
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Répondre sans délai à une mise en demeure ;
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Et, en cas de doute, se rapprocher de son représentant syndical avant que la situation ne se détériore.
✊ Ce que le SNT en retient
Pour le Syndicat National des Territoriaux (CFE-CGC), cette jurisprudence doit alerter les agents :
une absence non justifiée peut être interprétée comme un abandon de poste, même en période de mouvement social.
Le SNT réaffirme l’importance de l’accompagnement syndical dans ces situations :
« Avant toute absence prolongée, contactez votre section SNT. Nous sommes là pour vous éviter des erreurs lourdes de conséquences. »
📚 Références
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Tribunal administratif de Lille, n° 2307128, 17 septembre 2025. Article ID.CiTé, 23 octobre 2025. Jurisprudence de principe : CE, 13 janvier 1988, M. Delahaye, n° 78666
VEILLE REGLEMENTAIRE
📰 FPT : entre stabilité et fragilisation — ce que révèlent les chiffres 2023 de la DGCL
Publié le 24 octobre 2025, le rapport social unique de la DGCL dresse un état précis de la fonction publique territoriale.
Derrière les tableaux et les statistiques, se dessine une réalité contrastée : des agents toujours plus investis, mais un service public territorial mis à l’épreuve par la précarisation, l’inégalité et la tension sur les conditions de travail.
👥 Des effectifs qui reculent, un statut qui s’effrite
Au 31 décembre 2023, la fonction publique territoriale (hors Paris) compte 1 395 500 fonctionnaires, soit 16 700 de moins qu’en 2022.
Ils représentent encore 68 % des agents de la FPT, mais leur part recule chaque année, remplacée par des contractuels occupant des emplois permanents.
« Ce basculement n’est pas anodin : moins de titulaires, c’est moins de garanties collectives et plus de dépendance au bon vouloir des exécutifs locaux », souligne le SNT.
Les communes restent les premiers employeurs (51 % des agents), suivies des départements et régions (24 %) et des intercommunalités (15 %).
Mais la territorialisation des recrutements entretient les disparités et les cloisonnements de carrière.
👩🔧 Femmes majoritaires, mais toujours cantonnées
60 % des fonctionnaires territoriaux sont des femmes, mais cette moyenne cache une ségrégation persistante :
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78 % dans les centres de gestion et le CNFPT,
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76 % dans les syndicats intercommunaux,
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… contre seulement 16 % dans les SDIS.
Et si la féminisation progresse dans les catégories A et B, elle reste associée aux métiers administratifs et sociaux, rarement aux postes techniques ou d’encadrement supérieur.
Le SNT y voit le signe d’une égalité professionnelle encore inachevée, et plaide pour une politique active de mixité dans les filières techniques et de commandement.
🔄 Mobilité et précarité : le double visage des mouvements de personnel
Le rapport recense :
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30 700 agents détachés ou mis à disposition,
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69 200 en disponibilité ou congé parental,
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plus de 109 000 départs de fonctionnaires, principalement pour cause de retraite ou de mutation.
Côté recrutements, près de la moitié des nouvelles arrivées (46 %) concernent des contractuels sur emplois permanents.
Et si 1 500 ruptures conventionnelles ont été conclues en 2023, la majorité des départs de contractuels reste liée à la fin de contrat (81 %).
Le SNT alerte : « Les collectivités ne construisent plus des équipes, elles gèrent des flux. Cette rotation permanente mine la cohésion des services. »
🕓 Temps de travail : un équilibre instable
Le temps partiel concerne 7 % des agents à temps complet, un taux stable.
Mais le Compte épargne-temps (CET) explose : 845 000 agents en détiennent un, soit près d’un agent sur deux, avec 19 jours stockés en moyenne (DGCL, RSU 2023).
Cette progression illustre une tension croissante : les agents accumulent des jours faute de pouvoir les poser, signe d’une charge de travail structurellement excessive.
Et désormais, la question du plafonnement de l’indemnisation des CET change profondément la donne.
⚖️ Un plafonnement du CET voté au CSFPT
Le 17 septembre 2025, le Conseil supérieur de la fonction publique territoriale (CSFPT) a examiné un projet de décret permettant aux collectivités de fixer un plafond du nombre de jours indemnisables sur le CET.
Ce texte, adopté avec l’avis favorable du collège employeur (14 voix sur 14) mais largement contesté par les syndicats (1 favorable, 5 défavorables, 6 abstentions), autorise désormais chaque collectivité à limiter, par délibération, le nombre de jours pouvant donner lieu à indemnisation.
En clair : un agent pourra toujours épargner jusqu’à 60 jours (plafond national inchangé),
mais sa collectivité pourra décider que seuls 10, 15 ou 20 jours seront indemnisables.
Les autres devront être pris sous forme de congés, ou convertis en points retraite.
Le CSFPT justifie ce changement par une volonté « d’harmoniser » les pratiques internes, mais le SNT dénonce un recul déguisé des droits.
« Plafonner l’indemnisation, c’est refuser de reconnaître le surtravail accumulé.
C’est transformer un droit acquis en variable budgétaire. »
Pour le SNT, ce plafonnement local risque de creuser les inégalités entre agents selon les territoires, et d’accentuer les tensions dans les services où les congés ne peuvent déjà pas être pris.
🎓 Formation : un effort en demi-teinte
En 2023, un agent sur deux a suivi au moins une formation, pour 2 à 3 jours en moyenne selon la catégorie.
Mais les écarts se creusent : les cadres bénéficient de trois fois plus de journées que les agents d’exécution.
Les formations à l’initiative de l’agent (CPF, préparation concours, perfectionnement) ne concernent que 2 % du total.
Autrement dit, la formation reste encore trop souvent une “faveur” et non un droit effectif.
🩺 Santé au travail : les signaux d’alerte se multiplient
Les indicateurs 2023 confirment la tension :
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5,5 accidents de service pour 100 agents,
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26,5 jours d’absence en moyenne, dont 24,5 pour raisons de santé,
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4 800 inaptitudes définitives, en forte hausse.
Les filières techniques, incendie-secours et police municipale sont les plus touchées, tandis que les maladies ordinaires repartent à la hausse.
« La baisse apparente des absences ne signifie pas une amélioration de la santé : beaucoup d’agents renoncent à s’arrêter par pression de service », analyse le SNT.
⚖️ Discipline, climat social et risques de dégradation
Plus de 8 800 sanctions disciplinaires ont été prononcées en 2023 (+15 % en un an).
La majorité concerne des manquements au service (54 %), mais les cas de violence ou harcèlement progressent aussi :
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violences physiques, majoritairement subies par des hommes (SDIS, police),
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harcèlement moral ou sexiste, majoritairement subi par des femmes.
Pour le SNT, « ces chiffres confirment l’urgence d’une politique de prévention des risques psychosociaux, et d’un encadrement mieux formé à la régulation des tensions. »
🧩 En résumé : une fonction publique sous contrainte, des agents toujours debout
Les données 2023 témoignent d’un paradoxe :
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un engagement professionnel intact,
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mais des conditions de travail fragilisées,
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une formation inégale,
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et une précarisation rampante des recrutements.
Et désormais, avec le plafonnement du CET, un risque nouveau s’ajoute :
celui de voir les efforts invisibles des agents non reconnus, ni compensés.
« Ces chiffres ne sont pas une fatalité », conclut le SNT.
« Ils doivent servir à reconstruire un service public territorial attractif, stable et humain — pas à accompagner sa déstructuration. »
📚 Sources vérifiables
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DGCL – Rapports sociaux uniques 2023, publication du 24 octobre 2025. CSFPT – Communiqué de presse du 17 septembre 2025, projet de décret sur le plafonnement du nombre de jours indemnisables au CET, www.csfpt.org. Service-public.fr, Compte épargne-temps dans la fonction publique territoriale, fiche mise à jour en 2024. Arrêté du 24 novembre 2023 revalorisant les montants d’indemnisation du CET.








